Avril 1959 à Los Angeles, Jacques Tati et Buster Keaton se rencontrent pour la première et unique fois. Dans le bureau d’un building réservé pour cette occasion, ils s’enferment quatre heures durant sans aucun témoin. Au sortir de ce moment, un collaborateur de Tati demande : « Que vous êtes-vous dit durant tout ce temps ? » Et Tati de répondre : « Rien, absolument rien, nous avons simplement fait des exercices avec une chaise ». 
L’absence d’image de cette rencontre et la réponse formulée par Jacques Tati m'invite à composer un poème d’action simple avec une chaise. Cette rencontre, c’est celle de deux hommes qui se vouent une profonde admiration. Quels regards, quelles attentions, quelle patience et quelle audace ces deux artistes ont-ils eus l’un pour l’autre ? Se sont-ils surpris, étonnés, émus, par l’échange silencieux de leurs gestes, ou bien est-ce le rythme et seulement le rythme qui les occupait ? Nous allons à notre tour prendre le temps d’une divagation, replacer la chaise entre deux hommes et regarder ce qui se trame dans un biais, un vacillement, dans l’impatience d’un angle ou l’audace d’une faible chute. 
Glissements, appuis, emboîtements, détournements, métamorphoses, c’est le mouvement dans la forme que nous cherchons par ce petit trafic de gestes, de mesures et d’agilité. Le legs que nous font ces deux immenses artistes n’est pas seulement le burlesque de situation à l’humour subtil, c’est aussi le travail de l’action simple et modeste, une façon de laisser l’œil sentir les débordements de nos imaginaires.
Loïc Touzé